27 nov. 2010

Mohamed Benchicou ou la plume maudite

        Je découvre le site de Mohamed Benchicou, tout juste mis en ligne.
De prime abord, ce site ne paye pas de mine, tout simple et sans aucune fioriture ! Une chose est sûre, chittapresse ne pourrait l'accuser de vouloir en plagier un autre. Il faut dire que je me suis toujours méfiée de ces sites trop bien faits, trop bien clonés. 
Non, rien de tout cela chez Mohamed Benchicou.
On peut surfer sur son site d'une page à une autre et nous délecter de ses écrits à chaque fois qu'on y plonge le nez.
Tout y est ! Presque tout ce qu'on veut savoir de lui!! 
On va de surprise en surprise!! Par exemple, j'ai découvert qu'il avait quasiment grandi dans la maison d'Albert Camus  et que c'est à cet endroit qu'il s'est essayé à l'écriture. 
Tout y est ! cela va de sa biographie, en passant par sa bibliographie  pour arriver aux diverses distinctions obtenues même durant son incarcération.
Une rubrique attire néanmoins mon attention et qu'on ne voit nulle part : "Persécutions". 
Il faut dire qu'il y a de quoi écrire des livres, le concernant. 
Je vous laisse découvrir un des textes qu'on y trouve et  qui renforce mon idée de continuer à traquer les "journaleux".
Un texte qui vous fait comprendre la douleur endurée par toute une famille.
Une famille qui a souffert de l'absence d'un père, dans le silence et la dignité, sans jamais lui faire un quelconque reproche quant à ses écrits. Une souffrance qui n'avait nul besoin d'une plume pour parler. Une douleur qui s'est exprimée au travers les âmes mais aussi par des gestes affectueux, des regards, ...par le respect. Quelle belle leçon que voilà!!
    «  La prison ce n'est rien, s'il n'y avait la séparation », disait Nazim Hikmet, que j'ai beaucoup fréquenté durant mes deux années d'incarcération à travers ses lettres immortelles adressées, durant  douze ans, de la prison de Brousse, à son camarade Kemal Tahir. Si je devais tout oublier, les nuits froides et la douleur traîtresse qui m'attaquait le soir, si je devais tout pardonner, la perfidie de mes geôliers politiques et la lâcheté des juges, si je devais tout considérer, un jour, avec philosophie, je n'oublierai jamais le regard perdu de mon fils, je ne pardonnerai jamais les instants d'amour empêchés avec mes filles, les jours d'intimité confisqués, le trouble qui perlait des yeux de ma femme, cette désunion violente avec mes enfants que des despotes arrogants s'amusaient à châtier pour se venger de la plume de leur père.
Non, je n'arriverai jamais à maquiller la cicatrice d'une chair coupée en deux.
Les miens ont vécu à la fois le calvaire de leur infinie solitude et celui, plus sournois, de l'idée angoissante qu'ils se faisaient de la mienne. Ma séquestration suscitait une espèce d'échange inavoué de représentations dramatisées que chacun se faisait de l'isolement de l'autre. J'égrenais à El-Harrach, avec anxiété et beaucoup de culpabilité, mes craintes de père : que font-ils ? Que mangent-ils ? Rient-ils toujours ? Ont-ils la tête aux études ? Ils redoutaient, de leur côté, avec résignation et impuissance, toutes les conséquences du délaissement : qui va le soigner ? Survivra-t-il à tout ça ?  Nous tentions certes, et sans trop y croire, de nous rassurer mutuellement au moyen de dénégations dérisoires et de sérénités surfaites. Mais nous nous savions habités, au fond de nous-mêmes, par des obsessions sur le malheur de l'autre. C'est ainsi que passèrent, pour nous, les deux années d'emprisonnement : à traquer dans le regard de l'autre cet instant de crédulité qui nous aurait comblé de bonheur.
Il y eut des moments pénibles, d'autres franchement insoutenables. Ce jour de novembre 2004, par exemple, au tribunal, où je revis mes filles pour la première fois depuis six mois, pendant quelques minutes, entre deux portes, entre deux larmes étouffées. Les policiers m'avaient à l'œil, le temps m'était compté, mais je le dépensais à admirer chez mes gamines ce surcroît de beauté qu'elles avaient acquise pendant mon enfermement. L'épreuve leur avait donné un je ne sais quoi de majesté qui gonflait d'orgueil mon cœur meurtri. Je les touchais, elles me caressaient. Elles retenaient leurs sanglots, je bridais mes épanchements et, dans ce tribunal inhumain et impersonnel, venait de souffler la plus belle brise d'amour du monde. Par un accord tacite, nous ne nous sommes plus revus jusqu'à ma sortie de prison. Nous ne voulions, pour rien au monde, renouveler l'émotion oppressante de cette journée. Il ne nous suffira pas d'une vie pour l'oublier.
Un mois plus tard, au même endroit, entre les deux mêmes portes, j'eus une autre rencontre, furtive cette fois, avec mon fils Nazim qui venait d'avoir 12 ans. Il avait grandi. Sans son père. Il venait suivre le procès sur les tortures de T'kout, témoignant d'une telle maturité que la journaliste du Soir d'Algérie lui consacra un élogieux article qu'elle intitula « Le courage de Nazim » et qui, je crois, l'emplit d'aise. Ce jour-là, Nazim me parla énormément et je découvris chez lui une colère insoupçonnable. Peut-être était-ce la première fois que se nouait, entre le fils et le père, à la faveur d'une souffrance partagée, dans ce tribunal ténébreux, une véritable conversation d'adultes. Je revis Nazim plusieurs autres fois au parloir, en compagnie de sa mère. Derrière la vitre sale, j'observais, à chaque visite, l'ardeur admirable qu'il mettait à camoufler son chagrin sous une jovialité forcée. Il me racontait des blagues, souvent salées, dont il était le premier à rire, comme pour nous forcer à une hilarité qu'il savait incongrue dans ces lieux froids mais qu'il suscitait pour terrasser, à sa manière, sa douleur. C'est pendant notre séparation, je crois, que j'ai fait la connaissance de mon fils.
Avec ma femme Fatiha, la séparation connut, du moins en apparence, moins de déchirements. Sans doute parce que, en charge de la famille mais aussi du dispositif de soutien à ma libération, elle n'entendait pas se laisser divertir par l'affliction ni encore moins laisser paraître sa peine au risque de perturber davantage les enfants et démobiliser les amis. Elle était d'un courage rare et lucide. Mon épouse, femme entière et de caractère inébranlable, a de tout temps assumé les situations les plus périlleuses. Mais sous l'armure de la détermination et de l'opiniâtreté, on devinait une femme accablée, inquiète pour un homme seul, craignant le pire de la part des bourreaux dont  elle n'a, contrairement à moi, jamais sous-estimé les aptitudes à la cruauté. On s'échangeait nos craintes par des clins d'œil entendus. Pour le reste, on laissait parler nos cœurs.
J'ai aussi beaucoup vu souffrir ma mère. Elle traînait son corps menu au parloir pour me consoler ou pour maudire mes tourmenteurs, jamais pour pleurer sur notre sort. Cette fierté, je l'ai retrouvée chez tous mes êtres chers. Mes enfants, comme leur mère, n'ont pas une seule fois gémi devant l'injustice. Ils ne souhaitaient pas offrir à mes bourreaux l'occasion de jubiler devant le spectacle de leur forfait. S'ils ont beaucoup enduré à cause de mes choix de journaliste libre, ils n'ont jamais rien regretté. Aucun d'eux, même au plus fort moment de la douleur, ne m'a jamais reproché d'avoir écrit ou pensé contre l'air du temps. C'était, pour chacun d'eux, sa façon bien à lui de me dire, à l'oreille, « je t'aime ! »
Mohamed Benchicou.
Voyez-vous, je préfère de loin des sites sans fioritures et avec des textes aussi beaux et aussi vrais!! que les sites d'infos aux couleurs criardes signant des dépêches AFP ou articles copiés.
Merci Mohamed Benchicou de nous faire partager vos écrits et pensées.
Chittapresse





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire